L’Asset Management face au climat – Guilhem Czarniak

« Qui se soucie que Miami soit six pieds sous le niveau de la mer dans cent ans ? »

Cette phrase prononcée par Stuart Kirk, responsable de l’investissement durable chez HSBC AM et depuis suspendu de ses fonctions, met en lumière le rôle et l’impact des gestionnaires d’actifs sur le climat.

Contraints par leurs obligations de résultats ou la gestion de leurs risques financiers à l’instant « T » plutôt qu’à long terme, les asset-managers ne jouent que trop peu le rôle moteur que leur puissance financière leur permettrait, en théorie, d’adopter dans la lutte contre les changements climatiques.

Aujourd’hui, les marchés financiers et leurs acteurs sont conscients de la menace environnementale, mais la perçoivent à long terme. En conséquence, ils peinent à intégrer ces paramètres dans le cours des actifs. Cela se traduit par un soutien faible des valeurs tournées vers la transition énergétique tandis que les valeurs pétrolières ou gazières continuent leur progression, favorisée depuis 2022, par des tensions énergétiques dans le contexte géopolitique.

Si, en ce sens, les actions des assets managers existent, leur volumétrie et leur impact reste toutefois mesurés. Pourtant, certains évènements traduisent la capacité de ces acteurs à influencer les décisions stratégiques de grands groupes mondiaux. Par exemple, en avril 2022, Total Energies a cédé face à une coalition de gestionnaires d’actifs et d’investisseurs qui réclamaient des engagements plus forts en matière de climat et une présentation d’objectifs à court et moyen terme vis-à-vis de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise.

Pour autant, ces initiatives sont à relativiser. À l’occasion de la COP 26, de nombreux chiffres ambitieux ont été présentés par la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) : plus de 130.000 milliards d’euros dédiés à l’objectif de neutralité carbone, soit 40% des actifs planétaires, 220 institutions financières majeures membres de la Net Zero Asset Manager.

Dans les faits, ces chiffres sont bien moins optimistes. Une étude menée par le Carbon Disclosure Project révèle qu’à peine 1% des actifs planétaires sont aujourd’hui alignés sur l’Accord de Paris, tandis que seules 20 institutions financières membres de la Net Zero Asset Manager présentent des objectifs sur leurs actifs alignés avec le « net zero ». Cette différence notable s’explique par le fait que les montants calculés correspondent à l’ensemble des actifs gérés par les membres de la GFANZ. Ceux-ci sont parfois comptés en double dans le cadre d’entités appartenant à un même groupe, et non uniquement aux établissements dédiés à la transition énergétique.

Au vu de leur puissance financière, plusieurs facteurs peuvent expliquer les limites de l’accélération de la stratégie climat des Asset-Managers.

Tout d’abord, les politiques gouvernementales et l’arsenal réglementaire restent encore timides face à l’enjeu climatique, comme démontré récemment par la décision de la Cour suprême américaine. En effet, cette dernière a limité les moyens fédéraux, afin d’imposer des réglementations visant à réduire les émissions de gaz carbonique aux États-Unis. De plus, les banques centrales, censées assumer un rôle de leader sur la transition énergétique sont encore loin de montrer l’exemple.

En outre, le contexte économique et social freine les ambitions des gestionnaires d’actifs. Les impératifs de gestion des risques, couplés aux comportements d’épargne des français encore majoritairement sécuritaires, n’encouragent pas les investissements dans des entreprises dédiées à la transition énergétique présentant un profil de risque plus important. S’ajoute à cela le fait qu’aujourd’hui seule une entreprise sur 10 répond aux objectifs de limitation du réchauffement climatique défini à 1,5°C d’ici 2050.

Enfin, les gestionnaires d’actifs sont en pleine transition organisationnelle pour répondre à ces enjeux. Le redimensionnement des équipes qui sourcent les entreprises s’y accordant et qui évaluent le portefeuille d’actifs ainsi que ses impacts sur le climat sont en cours. Ces actions impliquent des évolutions de pratiques et de process, qui prennent du temps pour être intégrées sur le long terme.

En conclusion, les stratégies climats des gestionnaires d’actifs sont encore trop timides, souvent freinées par un contexte politique, économique et social encore trop peu incitatif ou favorable à ces changements de pratique. L’accompagnement de ces acteurs dans leur mise en conformité face à la réglementation, comme les exigences de reporting déployées à l’échelle française puis européenne, est un enjeu majeur dans l’évolution de ces stratégies.