Le conseil est-il un vrai métier ? – Paul Merra

Le conseil en entreprise (organisation, stratégie, management, gestion de projet…) est au sein de nombreuses controverses. D’après certains chercheurs en sciences sociales, il ne s’agit pas d’un métier mais d’une relation… contrainte par un objectif commercial.

Pour répondre à la question, il est donc opportun de lister dans un premier temps les principes qui définissent un métier.

 

 

Quels sont les critères de métier ?

Florence Osty, sociologue d’entreprise, définit un métier comme « un groupe social caractérisé par une capacité d’action collective et un espace d’identification » ainsi qu’un « savoir-faire reconnu et transmissible » qui permet de développer une identité professionnelle.

Les principaux critères d’appartenance à un métier sont le développement des compétences, les socialisations professionnelles et la reconnaissance sociale.

 

La formation

La maîtrise d’un métier est le fruit d’un cursus d’apprentissage cadré et organisé (école, parcours universitaire…) et qui demande des compétences particulières acquises au cours de formations précises. Un boulanger ne s’improvisera pas mécanicien du jour au lendemain sans une formation ou un apprentissage en amont.

L’activité de consultant est souvent assimilée au simple fait de murmurer de bons conseils aux oreilles des dirigeants, ou encore de savoir habiller par de belles présentations des études sans valeur ajoutée.

Pourtant, les clients reconnaissent volontiers que parmi les atouts d’un consultant on trouve la capacité à fournir un avis extérieur et une prise de recul nourrie par une expertise métier et des analyses préalables. Avant même de formuler la moindre préconisation, le rôle et le devoir du consultant est principalement de connaître et d’analyser la situation, la structure, l’organisation, l’état financier, le contexte de l’entreprise. Pour avoir cette prise de recul et cette connaissance du sujet, le consultant ira puiser dans une palette d’outils et de méthodes d’analyses qui sont propres au consulting.

Ceci nécessite des apprentissages et nous constatons qu’il existe des cursus et des formations propres au métier de consultant comme des masters spécialisés en stratégie ou organisation.

 

L’appartenance à une organisation

Une des caractéristiques d’un métier est de disposer d’une organisation professionnelle qui va régir l’accès à la profession, ainsi que des règles et des dispositifs de sanction. C’est l’ordre des médecins pour les professions médicales, ou l’ordre des avocats pour les professions libérales.

Les consultants se sont organisés sous plusieurs groupements comme, par exemple, la fédération Syntec. Elle couvre plus de 3000 entreprises spécialisées dans les métiers du numérique, de l’ingénierie et du conseil. Cette fédération régit leur activité et élabore notamment la convention collective applicable aux cabinets de conseil.

 

La reconnaissance sociale

Un métier existe s’il bénéficie d’une reconnaissance sociale : ceux qui le pratiquent sont reconnaissables et leur métier est connu.

Les consultants représentent une réelle et vaste communauté répartie à travers le monde et connue des professionnels et du grand public. Aux Etats unis, ce sont les grands cabinets tels que Mckinsey, ou encore BCG, et, en Europe, au travers principalement des « big four », ou de plus petits cabinets.

Au sein de ces structures, les consultants ont globalement des intérêts et des objectifs similaires avec des formations parfois complètement différentes. Le sujet de la reconnaissance sociale se manifeste ici au sens où certaines personnes exerçant un métier le revendiquent par leurs postures sociales et notamment celle de consultant.

Cela se constate aisément chez les clients où les seules personnes en costume dans un environnement « casual » sont souvent les consultants. De même, les sujets de discussions entre consultants (missions, de staffing, de projets, ou encore de niveau d’activité en audit ou en stratégie) sont typiques de leur activité et permettent d’identifier facilement les consultants.

 

D’un point de vue éthique

Après avoir répondu aux critères de métier, nous répondrons ici à un sociologue d’entreprise plus détracteur du métier de conseil. Michel Villette nous dit « Le métier de consultant n’est pas un métier mais une relation ». Il explique que le point de vue ou la démarche du consultant son toujours biaisés par son objectif de vendre et donc de maintenir la relation avec son client, quitte à lui dire uniquement ce qu’il a envie d’entendre. Cet argument peut être à juste titre entendu face à des cabinets qui vont et iront sans doute dans le sens de leur client, de peur de le contredire ou de lui exposer la vérité sur son type de management ou sur la structure de son organisation. Mais nous pourrions aussi nous poser la question de savoir si un vendeur de voitures sera systématiquement en adéquation avec le réel besoin de son client, ou influencé par le fait de réaliser une belle vente quitte à s’éloigner de la demande et du besoin initial. Pourtant le métier de vendeur de voitures répond bien aux critères de métier puisqu’il demande un apprentissage, et fait bien partie d’un secteur d’activité qui est l’automobile.

L’indépendance dans les conseils est du registre de l’éthique. S’il est vrai que, comme toute entreprise, le cabinet de conseil doit répondre à des objectifs de résultats et de rentabilité, c’est au consultant de savoir formuler ses avis de manière à ne pas heurter son client tout en lui disant les vérités utiles. C’est un savoir-faire qui s’acquiert par la pratique.

Enfin, la critique porte également sur la supposée faible rigueur scientifique du consultant. Ainsi, à la différence d’un universitaire qui s’astreint généralement à rester dans le champ d’une discipline de recherche spécifique, le consultant sera « agnostique » et pourra répondre à des problématiques, technologiques, sociologiques, financières, et organisationnelles. Pour y parvenir, il ira puiser dans un large panel de méthodologies, d’écrits ou de fondamentaux et utilisera par exemple des ouvrages ou des travaux menés par tel ou tel chercheur pour répondre à tous les sujets qu’il est mandaté pour traiter.

Ceci peut être vu comme un manque de cohérence scientifique mais la réponse à cette critique réside davantage dans une différence d’objectif : le chercheur a pour mission de faire évoluer sa discipline quand le consultant cherche à mettre en œuvre tous les moyens utiles pour faire évoluer son client. Ainsi, sa capacité à « piocher » dans tous les outils et toutes les disciplines possibles lui permet d’ajuster son travail aux circonstances précises de chaque client. L’éthique ici réside dans la maîtrise des outils et des disciplines utilisées, dans un souci méticuleux d’adéquation aux problématiques.

 

 

Conclusion

Pour conclure sur ce sujet, nous rappellerons les différents points de ce qui définit un métier : développement des compétences, socialisations professionnelles et reconnaissance sociale. Et nous soulignerons par ailleurs qu’il est également important d’avoir une « éthique de métier ».

Mais ces différents points répondent-ils bien à la définition d’un métier ? Un métier peut s’inclure dans différents contextes et répondre à différents enjeux, mais doit-il répondre à toutes les caractéristiques de la définition d’un métier pour être défini en tant que tel ? Une profession qui demande une formation précise, et un savoir-faire mais qui ne fait partie d’aucune organisation, ordre ou corporation est-elle bien un métier ?

A la question « le conseil est-il un métier ? », nous ne nous sommes pas évertués ici à tenter de prouver que la réponse est positive car certains pourraient nous reprocher de manquer d’objectivité. Nous avons pris le parti de fournir les arguments répondant au pour et au contre permettant à chacun de se former sa propre opinion et de répondre lui-même à la question.

Enfin, si nous traitons ici le sujet en ciblant l’activité de consultant, le lecteur est invité à se poser la question à propos de sa propre activité. Il y a fort à parier que la réalité du travail est plus subtile que les classifications pourtant bien utiles mais finalement limitées.