Gérer la complexité en projet : une affaire de posture et de méthode – Nicolas Licari
Blaise Pascal abordait la complexité en affirmant : « Je ne peux comprendre un tout que si je connais particulièrement les parties, mais je ne peux comprendre les parties que si je connais le tout ». Cette citation illustre bien la double difficulté de la gestion de projets complexes : il s’agit d’articuler à la fois une vision globale et une compréhension fine de chaque composante.
En tant que consultants, nos clients font appel à nous pour appréhender cette complexité dans leurs projets et en limiter les effets négatifs comme les retards, les dépassements budgétaires ou l’érosion du collectif liée aux tensions.
Face à cette complexité, une posture adaptée et des méthodologies spécifiques deviennent indispensables pour garantir la réussite d’un projet. En tant que consultants chez Hector, notre rôle est d’orchestrer la complexité, non pas en la simplifiant, mais en l’apprivoisant.
1– Dépendance inter projets : le chemin critique
Dans la gestion de projets complexes, l’interdépendance entre plusieurs projets constitue un facteur critique de réussite. Chaque projet peut impacter ou être impacté par d’autres initiatives parallèles, tant sur le plan des ressources que des livrables ou des délais.
Il est indispensable de commencer par dresser une liste exhaustive de l’ensemble des dépendances identifiées : livraisons croisées, partages de compétences, infrastructures communes, etc.
Ensuite, chaque projet doit être planifié de manière autonome et logique, en prenant soin d’optimiser les séquences sans présumer des interactions externes.
Ce n’est qu’une fois cette première ébauche réalisée que l’on confronte les différentes planifications pour faire apparaître les points de contact critiques (les dépendances).
Ces points représentent le chemin critique et doivent ensuite être suivis avec une vigilance extrême.
La moindre dérive dans l’un des projets interdépendants peut engendrer un effet domino aux conséquences importantes sur l’ensemble. La rigueur dans l’identification, la planification et le suivi de ces dépendances est donc un levier majeur pour maîtriser la complexité jusqu’au jour où les dérives apparaissent. Il n’existe pas de projet qui se déroule sans imprévu. Grâce à un suivi régulier et rigoureux, il est possible d’identifier très tôt les signaux faibles annonçant un décalage. C’est au PMO d’avoir ce rôle de tour de contrôle et de réunir les parties prenantes pour anticiper les effets, en transmettant l’information et en réorganisant les travaux pour limiter les impacts.
2– Langage commun et la vision partagée
Dans un projet complexe, la cohabitation entre les équipes est un défi de tous les jours. Il n’est pas rare que plusieurs groupes de travail, plusieurs équipes, bien qu’en communication constante, ne se comprennent pas réellement. Chacun évolue dans son propre univers, avec des vocabulaires, des outils et des méthodes, souvent issus de cultures métiers différentes (technique, fonctionnelle, etc.).
Cette incompréhension latente peut générer malentendus, décisions inadaptées, voire des conflits. Il est donc essentiel de vérifier systématiquement que les messages sont bien compris. Pour y parvenir, voici quelques bonnes pratiques :
- Instaurer un vocabulaire commun, partagé et validé par toutes les parties prenantes, sous forme de lexique présent à la fin de tous les supports,
- Modéliser, ne pas hésiter à faire un schéma, un dessin vaut mieux qu’un long discours,
- Demander de répéter ou de reformuler ce qui a été dit. Cela permet de détecter très tôt les écarts d’interprétation.
Cette harmonisation, souvent négligée, est pourtant un puissant levier de fluidité dans les échanges et de réduction des erreurs et des conflits en contexte complexe.
3– La gestion des conflits
Dans les entreprises, les équipes impliquées peuvent poursuivre des objectifs divergents, parfois même contradictoires. Tandis que certains chercheront à aller vite pour respecter des contraintes de délai ou de budget, d’autres privilégieront la qualité ou la robustesse des livrables, quitte à prolonger les délais. Ces tensions entre le « finir vite » et le « finir bien » ne doivent pas être ignorées, mais analysées et comprises.
Dans les conflits courants, il est crucial d’identifier les besoins, les contraintes et les motivations propres à chaque partie prenante, pour dresser un état des lieux clair et partagé de la situation. Pour cela, nous recommandons d’adopter une approche dialogique. L’objectif n’est plus de rechercher une solution optimale pour une seule partie, mais de trouver une solution acceptable par tous, qui dépasse les oppositions apparentes. En sortant de la logique du gagnant-perdant, cela permet de faire émerger une nouvelle solution, fondée sur la reconnaissance mutuelle des contraintes et des priorités des deux parties.
Si des conflits plus profonds sont identifiés, qui opposent des équipes qui ne peuvent plus travailler ensemble, il est alors envisageable de faire un diagnostic sociologique. Cette approche va chercher les causes racines du conflit dans la culture des équipes, les modes de fonctionnement ou les identités professionnelles. Grâce aux concepts de psycho-sociologie, nous tentons d’expliquer les oppositions rencontrées et proposons des recommandations pragmatiques pour permettre aux équipes de fonctionner ensembles.
4– Jeux politiques – attentions aux stratégies personnelles
La dernière source de complexité que nous aborderons dans cet article est bien connue de tous, mais elle reste pour autant difficile à appréhender, il s’agit des jeux politiques.
Derrière les rôles formels se cachent souvent des dynamiques de pouvoir, des intérêts individuels ou des positionnements stratégiques qui peuvent profondément influencer le déroulement du projet. Pour tenter de capter les signaux (plus ou moins faibles) de ces forces, chez Hector nous utilisons plusieurs outils :
- Le sociogramme, développé par Michel Crozier, qui nous permet d’identifier pour chaque individu : ses objectifs, les zones d’incertitudes qu’il va tenter de maitriser pour les utiliser comme levier, ses contraintes et ses stratégies.
- La modélisation systémique, qui met en lumière les interactions et nous aide à identifier les influenceurs, parfois peu visibles, mais qui sont en lien avec un très grand nombre de personnes — ces influenceurs évoluent dans des zones grises, entre fonctions officielles et pouvoir officieux. Il est très important de les identifier pour faire avancer le projet ou alors pour canalise leur influence s’ils ont des effets néfastes.
Une fois les stratégies identifiées, nous tentons de les transformer en forces pour le projet en créant une communauté d’oiseaux rares. Elle regroupe les personnes qui connaissent tout le monde, qui ont accès à des cercles d’influences et sont présentes à tous les niveaux de l’organisation sans pour autant faire partie de la hiérarchie. Ce sont des relais d’information, des amplificateurs de messages qui vont propager des idées et des points de vue, il est primordial de les intégrer à la dynamique du projet, en leur donnant un rôle moteur dans la conduite du changement.
En identifiants les stratégies personnelles, en détectant les influenceurs et en rassemblant les oiseaux rares autour d’une vision commune, il devient possible de naviguer dans une complexité connue et maitrisable.
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Vous l’aurez compris, la gestion de projets complexes ne repose pas uniquement sur des outils, des plannings ou des KPI. Elle exige avant tout une lecture fine des dynamiques humaines, organisationnelles et politiques. Chaque dépendance, chaque malentendu, chaque tension entre parties prenantes peut se transformer en levier de performance… ou en point bloquant.
Chez Hector nous pratiquons le Human Augmented Consulting en adoptant une posture systémique, mêlant rigueur méthodologique et sensibilité relationnelle pour naviguer dans la complexité des projets. Nous identifions les dépendances critiques, établissons un langage commun, dépassons les divergences d’intérêts et intégrons les acteurs informels dans une dynamique collective pour transformer la complexité en richesse.