Le rôle du secteur bancaire dans la transition – Damien Buchet
En l’espace de deux décennies, la question de la transition écologique est devenue en France un sujet récurrent des repas de famille et du JT de 20h, présent dans la bouche et s’imposant aux oreilles de chacun. Et si un constat fait maintenant consensus, c’est que l’action individuelle ne peut vivre si elle n’est pas accompagnée d’une mobilisation de la sphère professionnelle et institutionnelle. Parmi les secteurs les plus concernés, celui des banques semble vouloir prouver sa sollicitude. Car si octroyer un crédit, mettre à disposition des moyens de paiements ou proposer des supports d’épargne et de placement sont des actions à destination individuelle, elles constituent à l’échelle d’un pays de puissants leviers de transition aux impacts multiples sur lesquels les banques ne manquent pas de communiquer.
L’irruption de la finance sur la scène climatique
Il est difficile d’affirmer qu’historiquement, la sphère financière se soit positionnée au premier plan de l’action contre le changement climatique. La transition écologique était davantage comprise comme un processus technologique d’abord, récemment résumé à la notion de « techno-solutionisme », et un processus politique ensuite.
L’émergence de la « finance verte » a bénéficié de plusieurs impulsions concomitantes, d’abord la perception d’une demande croissante des parties prenantes (clients, salariés, actionnaires, partenaires…) à limiter leur impact, et en conséquence à protéger leur réputation, puis de la prise en compte des implications financières du changement climatique et de la transition sur elles-mêmes. Encouragé par la sphère scientifique, le financement de la transition a notamment fait l’objet d’un chapitre du 5ème rapport d’évaluation du GIEC en 2014.
Plus récemment, la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques de 2021 (dites « COP 26 ») a rassemblé différentes initiatives dans une alliance globale (la Glasgow Financial Alliance for Net Zero) où 500 institutions financières se sont engagées à atteindre la neutralité carbone en 2050, en passant notamment par la définition de plans de transition par chacune de ces institutions.
Séparer le bon grain de l’ivraie, le rôle central des banques dans l’allocation du capital
Les banques dirigent l’épargne des Français, et à ce titre, sont au cœur du financement et de l’investissement dans la transition écologique.
Cela passe d’abord par le crédit, à l’échelle du financement des particuliers, les banques facilitent, à titre d’exemple, la rénovation énergétique des bâtiments, avec des dispositifs nationaux comme l’éco-prêt à taux zéro. Dans le cadre de financements de projets d’envergures, les prêts peuvent aussi appuyer le développement des énergies renouvelables ou d’infrastructures bas carbone. Les groupes Français BNP Paribas et Crédit Agricole, ont par exemple déclarer augmenter la part de leurs financements dédiés aux énergies renouvelables.
Concernant l’offres de placement, les instruments financiers spécifiques dans des fonds thématiques « responsables » répondant à des labels verts se multiplient. Le placement de l’épargne, qu’il soit piloté ou laissé à la décision du client, fait maintenant systématiquement l’objet de suggestions de produits labellisés ISR (Investissement Socialement Responsable).
En termes d’investissements, certaines banques françaises se distinguent par leurs engagements. La Banque Postale s’est notamment fixée pour objectif d’atteindre le « zéro émission nette » sur ses portefeuilles d’ici 2040. Cependant, les produits verts restent marginaux dans les portefeuilles bancaires. S’ils permettent de séduire une clientèle sensible à l’environnement, ils ne modifient pas nécessairement en profondeur les pratiques d’allocation du capital.
Une responsabilité croissante de gestion et d’anticipation des risques de transition
Les banques sont désormais tenues d’évaluer les risques et opportunités liés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette transformation s’inscrit dans un cadre réglementaire de plus en plus exigeant, l’Union européenne impose aux acteurs financiers une transparence accrue sur l’impact de leurs activités (taxonomie verte, règlement SFDR). De même, les accords de Bâle intègrent progressivement les risques climatiques dans les exigences prudentielles.
En parallèle, les banques intègrent de plus en plus des analystes spécialisés en durabilité, mettant en place des comités ESG, et publiant des rapports d’impact. Cela témoigne d’une prise de conscience : ne pas intégrer ces enjeux revient à s’exposer à des risques financiers (actifs échoués, réputationnels, juridiques) importants.
Enfin, la redéfinition des politiques des risques des établissements permet d’encadrer les contreparties opérant dans des secteurs clés du point de vue de la transition et définir des exigences supérieures, notamment de délégation de décision, dans l’instruction de ces dossiers. L’adaptation d’une politique sectorielle pouvant tout à fait se traduire par une exclusion de certains secteurs économiques ou d’activités trop impactantes (exemple : activités d’extraction d’énergies fossiles).
Une tendance récente qui transforme la communication de nos banques françaises
Ces initiatives marquent une évolution notable dans la manière dont le secteur bancaire exerce sa fonction économique et communique sur l’orientation de ses forces vives vers une fonction sociétale, et en partie tournée vers l’écologie. Il est intéressant de voir que la transformation de la communication des banques vers des considérations dites « vertes » ou « sustainable » est assez récente. Leur communication à la fin du 20ème siècle était alors davantage orientée vers l’accès à toutes et tous au crédit (notamment via l’accès au crédit à la consommation), à des services bancaires de bases et au financement des petites entreprises et commerçants locaux. Ces considérations restent cependant centrales et au cœur des campagnes de communications des groupes bancaires, notamment des groupes mutualistes qui s’appuient sur leurs maillages régionaux et leurs fonds de commerces historiques (les livrets d’épargne pour les caisses d’épargnes, l’accompagnement des PME pour les banques populaires, l’ancrage local du Crédit Mutuel, et le financement de l’économie paysanne du Crédit Agricole). Détenue par le Groupe La Poste, la Banque Postale prend aussi soin de communiquer sur son engagement sociétal et son rôle d’entreprise à mission (depuis 2021 sous l’encadrement de la Loi Pacte). Ses statuts précisent d’ailleurs que sa raison d’être est de « Contribuer, par une finance au service de l’intérêt général, à une transition juste, en accompagnant tous ses clients vers une société bas carbone, inclusive, et résiliente. ».
Conclusion
Le secteur bancaire est à un tournant historique. Par sa capacité à orienter les flux financiers et à communiquer sur ces actions, il détient un levier déterminant pour encourager la mobilisation collective et accélérer la transition écologique. Mais cet engagement ne peut être que cosmétique : il doit s’ancrer dans des stratégies durables, cohérentes et mesurables. Financer localement, investir durablement, et repenser le modèle économique, le secteur bancaire est désormais appelé à être un catalyseur de la transition. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (traité adopté en 2015 lors de la COP 21) de maintenir l’augmentation de la température mondiale sous les 2 degrés Celsius et de mener des efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux pré-industriels, une réelle transformation systémique des banques est nécessaire. Mais une chose est certaine, la transition ne se fera pas sans elles.
