Ce n’est pas parce que c’est complexe que c’est compliqué ! (2/3)

Après l’exposé de quelques concepts théoriques, voyons comment leur application pratique en entreprise peut apporter des solutions concrètes et efficaces.

Le défi majeur des entreprises aujourd’hui est de réussir à gérer la complexité. Après l’exposé de quelques concepts théoriques, voyons comment leur application pratique en entreprise peut apporter des solutions concrètes et efficaces. Car, n’oublions pas, ce n’est pas parce que c’est complexe que c’est compliqué !

Dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui, quelles sont les clés pour gérer simplement la complexité ?

L’évolution des marchés, les effets de la mondialisation, la modification des comportements des consommateurs, l’hyperconnectivité des individus, la multiplication des activités au sein d’une même entreprise, le recours dans des domaines de plus en plus variés à la sous-traitance… tout cela a propulsé les entreprises dans des niveaux de complexité jamais rencontrés auparavant. Apprendre à penser systémique et savoir gérer la complexité est indispensable aux entreprises d’aujourd’hui.

Partager une même vision… ou la finalité du système

Dans une entreprise, chaque individu, chaque service, contribue en fonction de ses attributions et de ses compétences à faire fonctionner l’ensemble. Chaque acteur, en exerçant sa spécialité, est amené à agir, à prendre des décisions, plusieurs dizaines de fois par jour. Mais dans quel but ? Si l’objectif de l’entreprise, sa stratégie globale, ne sont pas compris par ses acteurs, ceux-là risquent alors de la plonger dans une forme de chaos par leurs décisions incohérentes les unes avec les autres. Les acteurs doivent parfaitement connaître l’objectif de l’entreprise afin de pouvoir prendre des décisions qui sont à la fois bonnes pour eux et bonnes pour l’ensemble.

Avoir une vision simple, et s’assurer qu’elle est comprise par tous est un préalable. Elle permet à chacun de mettre du sens dans ce qu’il fait et de faire évoluer l’ensemble dans une même direction. C’est une des causes principales aujourd’hui du désengagement actif des salariés : ils ne savent même plus pourquoi ils se lèvent le matin !

On raconte que du vivant de Steve Jobs, on pouvait prendre 10 salariés au hasard chez Apple et que tous savaient restituer sa vision… alors qu’il était très probable qu’aucun d’entre eux ne l’avait jamais rencontré physiquement. Faites le test à la porte d’entrée de votre entreprise… vous serez fixés.

La communication

La qualité de l’information et sa facilité de circulation sont des éléments cruciaux de la gestion de la complexité. Pourtant, on constate trop souvent de mauvaises habitudes ou de mauvaises décisions qui appauvrissent et bloquent la diffusion de l’information : séparer physiquement des équipes qui travaillent sur un même projet (typiquement les opérationnels et les informaticiens), organiser des réunions avec les mauvaises personnes, créer des comités inutiles où l’on ne décide d’aucune action concrète, se parler par mail alors qu’on est assis à côte à côte, participer à des réunions non préparées où l’on s’ennuie à mourir et où l’on n’apprend rien (98% des « réunions d’équipe »), …

Il faut prévoir également des flux retours (les feed-backs d’information). Trop souvent, la base envoie des informations à la direction ou au « central » sans jamais avoir de retour. Elle ne comprend pas à quoi ça sert, on ne lui dit jamais si c’est utile. Et certains s’étonnent ensuite que l’information envoyée soit de mauvaise qualité… Il faut par conséquent définir des attentes réciproques entre local et central, entre la base et la direction, et assurer la bonne transmission des informations par des moyens simples.

La prise de décision

Plus le système est complexe, plus l’entreprise est complexe, plus les décisions doivent se prendre au niveau le plus bas. La caractéristique d’un système complexe mal géré, c’est l’engorgement des décisions au niveau d’une seule personne (le dirigeant par exemple).

Ceux qui agissent doivent être les plus compétents pour le faire, et non pas ceux qui sont dans la bonne case de l’organigramme… Bien que les cellules du foie participent à la digestion, il ne leur viendrait jamais à l’idée de revendiquer les tâches de celles de l’estomac parce qu’elles se croient mieux placées dans l’abdomen.

Il est donc crucial de permettre la prise de décision au niveau le plus bas de l’entreprise. Cinq conditions sont nécessaires : avoir une culture qui ne crucifie pas ceux qui commettent des erreurs (culture d’autonomie et de confiance), permettre à tous les employés de connaître la stratégie (connaissance de la finalité), définir des rôles et responsabilités relativement clairs (principe de responsabilisation) s’assurer qu’ils connaissent bien les autres acteurs de l’entreprise pour vérifier que leurs décisions ne risquent pas de gêner quelqu’un d’autre et qu’ils puissent, le cas échéant, aller en discuter directement (connaissance des acteurs du système) et, enfin, instaurer un style de management au service des employés (management de type « leadership de service »). Le responsable doit faire comprendre à ses collaborateurs qu’ils sont bien plus compétents que lui pour la plupart des décisions. Il doit en revanche se concentrer sur l’aplanissement des difficultés qu’ils peuvent rencontrer pour réaliser leur travail.

L’organisation

On a connu plusieurs modes en matière d’organisation. L’arrivée de l’ère industrielle a imposé dans les premières usines des hiérarchies pyramidales de type « command and control » et mis en œuvre les principes du taylorisme : spécialisation des tâches, contrôle et remontée d’information du bas vers le haut.

L’engorgement de l’organisation à la tête a souvent amené à renverser la pyramide en prônant une décentralisation maximale… conduisant le plus souvent à l’incohérence et à la désorganisation, chaque entité abusant de son autonomie pour déclarer son indépendance, toute fictive, au système.

Encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises alternent régulièrement entre centralisation et décentralisation sans jamais trouver de mode de fonctionnement satisfaisant.

Vers la fin du 20ème siècle, les légions de consommateurs étant devenues elles-mêmes des systèmes complexes et très exigeants, les entreprises ont tenté de remettre en cause l’approche pyramidale et on a inventé l’organisation matricielle… système d’organisation que personne n’a jamais vraiment compris !

Aujourd’hui, les entreprises recherchent éperdument la transversalité, pour s’affranchir par tous les moyens des terribles silos organisationnels… peu nombreuses sont celles qui y parviennent.

Certaines entreprises, y compris de taille importante, ont pourtant trouvé des solutions intéressantes, inspirées de la complexité, en élaborant des fonctionnements en réseaux, ou en juxtaposant des organisations informelles à l’organisation pyramidale pour permettre agilité et transversalité. D’autres enfin ont tout simplement supprimé la notion de hiérarchie au sens classique du terme[1].

En définitive, il y a plus de solutions qu’on ne le croit, pour peu qu’on s’affranchisse un peu des modèles historiques, incontestablement dépassés aujourd’hui.

Les quelques principes de gestion de la complexité illustrés dans les cas d’application présentés peuvent convenir dans le cadre d’un projet, d’une partie de l’entreprise ou de l’entreprise dans sa globalité.

Nous verrons dans notre prochain billet comment la prise en compte de l’Humain, dans ses faiblesses mais aussi dans ses potentialités exceptionnelles est une dimension incontournable de la gestion de la complexité.

Hector

[1] Liberté & Cie – Isaac Getz, Brian M Cartney (2012)