Quels sont les grands enjeux RSE pour les Banques de détail ? – Partie 2/2 – Charles Devesse

PARTIE 2  : COMMENT INTÉGRER CONCRÈTEMENT LES ENJEUX RSE DANS LA TRANSFORMATION DES BANQUES DE DÉTAIL ?

La première partie de ce dossier visait à rappeler les principaux enjeux de la RSE dans les organisations, notamment bancaire. Nous avions vu que la RSE représentait notamment une opportunité de business (nouvelles sources de revenu liées au développement de nouveaux produits financiers), une opportunité d’attractivité employeur et un levier de transformation digitale fort. Cette seconde partie de notre dossier spécial visera à présenter des pistes d’actions et éléments de démarche activables par les dirigeants et responsables de projets RSE.

A. Et concrètement, par quoi commencer ?

Une fois les opportunités identifiées, il convient donc de s’obliger à réfléchir au « comment faire ? ».

Concrètement, que peuvent faire les patrons, managers, chefs de projets et opérationnels des banques de détail pour intégrer et piloter durablement les enjeux RSE dans leur quotidien ?

Bien sûr, les propositions qui suivent sont à (re)considérer au regard du niveau de maturité (en termes de transformation, de pratiques ou d’investissements) d’une organisation donnée.

Cette réflexion sur les propositions d’actions intègre également les difficultés inhérentes aux situations que les banquiers rencontrent ou rencontreront dans les prochaines années. Pour chacune de ces difficultés, nous nous efforceront d’en expliquer les causes mais aussi les leviers de transformation.

Par ailleurs, les pistes de chantiers proposées ne sont pas exhaustives. Nous n’avons retenu pour cet article que celles qui nous semblaient prioritaires, à savoir  : l’intégration de la RSE au sein de la culture de l’organisation (a), l’importance de la maîtrise et de l’utilisation de la data (b) et la refonte des rapports et processus de la banque de détail avec les principales parties prenantes que sont les candidats, les prestataires et les clients (c).

Il existe bien évidemment d’autres chantiers à mener qui ne seront pas explicités ici  : celui de la communication (externes et internes) en est un, tout comme les travaux à initier du côté de l’ingénierie financière (avec les produits de la « finance verte ») ou encore les réflexions autour de la refonte des modes de travail et l’opportunité offerte par celles-ci d’initier une politique logistique et énergétique plus responsable.

Enfin, les pistes d’actions proposées doivent être mises en perspective des actualités de ces derniers mois  : la guerre en Ukraine impacte et continuera d’impacter l’économie mondiale et donc la rentabilité et la croissance des banques. De même, la remontée de taux d’intérêts est un autre évènement macro-économique qui viendra durablement impacter le secteur financier. Toutefois, la RSE, parce qu’elle porte en elle-même des éléments fondamentaux de justice sociale et de préservation de l’environnement, ne doit pas être remisée au second rang des priorités des dirigeants. Parce qu’elle répond à des enjeux moyen / long termes trop importants, les projets RSE doivent continuer à faire l’objet d’investissements massifs.

a. RSE et transformation culturelle

Intégrer les enjeux RSE de façon concrète, c’est tout d’abord s’assurer de son intégration dans l’ADN et la culture de l’entreprise.

Pour cette considération culturelle de la RSE, les banques de détail ont un rôle de premier plan à jouer du fait de leur position de proximité avec les clients (les agences bancaires sont en première ligne auprès des particuliers et des entreprises) et du fait de leur rôle commercial de première importance (notamment dans la distribution des nouveaux produits de la finance verte). D’ailleurs, on notera que certaines banques mettent particulièrement en avant leur proximité avec la société (et donc leur rôle prépondérant sur les enjeux RSE). Elles le font notamment à travers leur réseau d’agences (voir à cet égard et pour exemple les communications de La Banque Postale1 ou bien encore la raison d’être du Groupe Crédit Agricole).

Toutefois, l’intégration de la RSE dans la culture de la banque (voire dans sa raison d’être) est confrontée à au moins deux difficultés :

  • Comment concilier l’ADN particulier de l’activité de banque de détail avec la culture de l’organisation dans sa globalité (notamment en lien avec les autres activités de la banque (investissements, gestions d’actifs, moyens de paiements, etc.) et les directions des sièges)  ?
  • Comment établir sa définition propre de ce qu’est la RSE pour en faire une stratégie et une déclinaison opérationnelle véritablement « sur mesure » (et en particulier concernant l’aspect Social de la RSE, relativement protéiforme)  ?

Pour intégrer la RSE dans la culture de la banque de détail, l’approche se doit d’être essentiellement bottom up, et ce afin qu’elle ne soit pas simplement décrétée mais avant tout constatée. La démarche peut s’articuler comme suit  :

  • Diagnostiquer les habitudes et les pratiques quotidiennes des collaborateurs à tous les niveaux de la banque. Cette étape permet de déduire des éléments culturels fondamentaux de la banque  ;
  • Interroger la Direction générale sur sa définition et sa vision, « à elle », de ce que sont la RSE et la culture RSE existante de l’organisation (approche top down) et les collaborateurs (ou un panel de collaborateurs selon la taille de la banque considérée) afin de récupérer leurs visions, leurs interrogations et leurs ambitions (approche bottom up). Cette étape permettra de faire un gap analysis entre la culture RSE constatée (cf. première étape de la démarche) et la culture RSE souhaitée et ambitionnée afin de définir les axes d’amélioration et les leviers d’actions concrets (sous la forme d’une feuille de route) ;
  • Intégrer et synthétiser la définition de la RSE propre à l’organisation, les ambitions collectives énoncées ainsi que la feuille de route à engager pour que la banque soit « RSE centric » dans un document unique et diffusé à grande échelle au sein de l’institution, voire à l’extérieur (un plan de communication opérationnel dédié peut accompagner cette diffusion à l’échelle).

Chez Hector, nous sommes persuadés que la culture se constate et ne se décrète pas. Une « culture RSE » d’entreprise implique donc, plutôt que des déclarations d’intentions, une analyse fine de l’existant et des aspirations des collaborateurs et ce, à tous les niveaux de l’organisation. Une transformation culturelle orientée RSE reste une superbe opportunité pour la banque de détail, comme pour d’autres entreprises d’ailleurs, de renforcer sa résilience. La culture RSE, inscrite dans une véritable raison d’être, est aussi un formidable moyen de répondre aux nouvelles exigences des collaborateurs – toutes générations confondues – notamment en termes d’environnement et de sens donné à leur travail.

b. RSE et data

L’autre enjeu majeur pour les banques de détail et qui concernent leur responsabilité sociale et environnementale, c’est bien sûr l’enjeu de la data.

Il est intéressant de constater que de nombreux projets RSE au sein des banques, notamment celles de détail, démarrent par ce prisme de la donnée. Les projets actuels ou à venir ont pour ambitions :

  • De mettre à disposition facilement et rapidement toute la donnée dont la banque de détail dispose (et la quantité de cette donnée est relativement importante) ;
  • De s’assurer que les données collectées soient de qualité (quel que soit leur format) et pertinentes ;
  • D’utiliser et de piloter la donnée de façon concrète (par exemple : pour le business avec des données sur les produits de la finance verte les plus vendus ou les attentes des clients en matière de RSE afin d’ajuster les stratégies commerciales mises en œuvre  ; pour les RH sur les attentes des futurs candidats et sur celles des actuels employés afin de travailler ou retravailler la marque employeur sur le volet RSE  ; etc.).

Évidemment, les enjeux data pour la RSE des banques de détail ne vont pas sans leurs lots de difficultés :

  • Des difficultés techniques d’abord avec une courbe d’apprentissage très importante lors de l’initialisation des premiers projets data. Cette courbe d’apprentissage vient souvent du fait que  :
    • Les métiers de la banque de détail et les fonctions IT ne parlent pas toujours le même langage (de plus, les sujets RSE ne sont pas encore forcément clairement positionnés dans les organisations, induisant un ownership de ces sujets relativement « siloté » par ligne métier),
    • Certaines données collectées sont mal ou pas du tout maitrisées par la banque car elles n’ont jamais été considérées jusqu’alors par manque de besoin ou de visibilité,
    • Les banques de détail, par la variété de leurs activités, ont des données extrêmement hétérogènes tant dans leur contenu (données clients versus données sur produits financiers par exemple), leur format (données CRM versus données excel par exemple) et leur qualité (de manière générale : données provenant d’actions manuelles versus données provenant de mécanismes automatiques) ;
  • Des difficultés d’utilisation ensuite puisque, avant même de collecter de la donnée, il est important que la banque s’accorde sur l’utilité et l’utilisation finale de cette donnée en matière de RSE  (quels KPI de pilotage RSE souhaite-t-on mettre en place ? pour quel(s) besoin(s)  ? etc.) et qu’elle clarifie très vite le pilotage de cette donnée RSE au quotidien (et ce, afin d’éviter une dégradation de la qualité de la donnée dans le temps qui nécessiterait de nouveaux investissements conséquents pour une « remise au propre »).

Les ambitions visées et les principaux écueils à surmonter permettent alors de déduire une macro-démarche type pour de tels projets au sein des banques de détail. Cette démarche data est évidemment à mettre en lumière avec la culture RSE de l’organisation qui, par son ambition stratégique, doit « driver » les projets et programme data RSE. Les chantiers data RSE devraient s’organiser autour de 3 étapes fondamentales  :

  • D’abord, une prise de temps nécessaire pour la collecte des besoins métiers et opérationnels. Ceci pour au moins deux raisons. D’abord parce que c’est en répondant aux besoins RSE des métiers (par exemple sur la gestion de la donnée client si l’on considère les fonctions commerciales) que la banque et sa Direction générale sensibiliseront le plus facilement une large majorité des collaborateurs aux enjeux RSE. Ensuite parce que, sur les projets data – qui consomment souvent beaucoup de temps et qui nécessitent des investissements conséquents – les « quick wins » restent le meilleur moyen d’initier une dynamique positive sur le long terme, par la force de la preuve,
  • De plus, une fois les besoins collectés et clairement identifiés et exprimés il faudra faire le choix de l’architecture IT, en lien avec le legacy (qui, on l’a déjà dit, peut s’avérer peu adaptable et relativement vieillissant) et des solutions technologiques nécessaires à la collecte, au stockage et à la restitution de la donnée (exemple : data lake et data lab),
  • Enfin, la définition, qui peut être faite en parallèle des choix technologiques, d’un Proof of Concept (POC) pertinent pour un ou plusieurs métiers et suffisamment ambitieux pour une véritable projection sur des gains (financiers ou non) réellement réalisés.

L’intégration des aspects RSE dans les projets et programmes orientés data est donc un chantier majeur pour les banques de détail dans les prochaines années. Il s’agit pour les responsables de ces transformations de ne pas sous-estimer la difficulté et la charge associées à un tel chantier. Les banques de détail et leur réseau ne doivent pas hésiter à s’appuyer, lorsque cela est possible, sur certaines directions centrales qui manipulent depuis des années ces sujets data, au premier rang desquelles les directions financières et les directions des risques.

c. L’intégration de la RSE dans la gestion opérationnelle de toutes les parties prenantes de la banque

Enfin, le troisième chantier RSE pour les banques de détail visera son intégration dans l’écosystème de la banque de détail et notamment  : ses collaborateurs actuels et futurs, ses prestataires / fournisseurs et ses clients.

Considérons chacune des principales parties prenantes des établissements afin d’établir un plan d’action détaillé.

Concernant la RSE intégrée à la marque employeur et à la stratégie de recrutement des banques de détail, les chantiers seront de plusieurs ordres  :

  • Marque employeur : revoir, si nécessaire, la « promesse employeur » au regard des enjeux des responsabilités sociales. Pour se faire, les Directions des ressources humaines de ces institutions devront travailler sur  :
    • La remise à plat, si nécessaire, des trajectoires professionnelles des collaborateurs,
    • Les leviers de communication disponibles pour prouver, en tant qu’employeur, les engagements RSE,
    • La collecte des attentes des collaborateurs (campagnes annuelles, trimestrielles etc.) et l’intégration d’une « évaluation RSE » au sein des traditionnels baromètre employeur ;
  • Marque recruteur : (re)définir une stratégie de recrutement qui intègre les dimensions de sens au travail, de valeurs et d’éthique. Pour se faire, quelques pistes comme :
    • La remise à plat des traditionnelles fiches de poste, pour que celles-ci intègrent, dès la première lecture faite par le candidat, les dimensions RSE importantes (pour la banque, voire pour le poste en lui-même),
    • L’analyse des différents canaux de recrutement (internet, intranet pour les mobilités internes, etc.) et l’impact de ses canaux en matière RSE ainsi que leur pertinence dans la mise en avant des valeurs de l’établissement,
    • Comme pour le chantier marque employeur, les leviers de communication disponibles pour prouver, en tant que recruteur, les engagements RSE auprès du candidat ;
  • Définition des métiers de demain  : la Direction des Ressources humaines devra définir une feuille de route sur les métiers de demain, notamment les métiers de la RSE ou qui nécessiteront des compétences et expertises RSE (que ces dernières soient mises au profit d’un métier, d’un projet ou d’un programme) ;
  • La particularité et la difficulté de ce chantier consiste en ce que la RSE nécessite, pour l’heure du moins, une approche transversale des compétences disponibles et recherchées : compétences informatiques / RSE, compétences commerciales / RSE etc ;

Du côté du client, la RSE pour les banques de détail devrait être mise en œuvre à travers deux principaux piliers  :

  • La marque et l’image de la banque vis-à-vis de ses clients, au regard des nouveaux enjeux et besoins RSE. Ce chantier est généralement bien avancé dans la plupart des banques françaises ;
  • Les processus commerciaux et, plus largement, le(s) parcours client(s) :
    • Les contacts des consommateurs avec leur banque de détail se font, on le sait, à travers une multitude de canaux (application mobile, agence, site internet, SMS etc.) qu’il convient de diagnostiquer un à un au prisme des enjeux RSE. Ce diagnostic s’attachera en particulier à  :
      • Évaluer l’impact du canal, en matière environnementale par exemple, mais aussi social (par exemple : ce canal est-il facile d’accès aux personnes en situation de handicap ?),
      • Évaluer et amender le type de communication RSE réalisé ou à réaliser sur ce canal,
      • Sélectionner les données les plus pertinentes à collecter dans le cadre d’une stratégie opérationnelle RSE (d’ailleurs, le chantier de la data est en adhérence forte avec cette étape-ci) ;
    • Qui dit contact client dit également produits et services vendus à ce dernier dans le cadre d’une relation marchande.

Enfin, du point de vue des politiques achats et de gestion des prestataires, les banques de détail ont évidemment un rôle prépondérant à jouer en matière de RSE, pour elle-même bien sûr mais aussi au service des groupes bancaire dans lesquelles elles opèrent.

La question des « achats responsables » est relativement récente dans l’univers bancaire, et les banques de détail ont donc des choses à faire  :

  • En premier lieu, la définition d’une stratégie achats responsable en cohérence avec la stratégie RSE du groupe, si elle existe. Cette stratégie doit permettre notamment de définir précisément les ambitions de la politique achats responsable (exemple : 100% de prestataire « RSE compatible » ? 100% de fournisseurs disposant d’une charte RSE  ? etc.) et les moyens associés ;
  • Cette feuille de route pour des achats responsables doit ensuite être accompagnée d’une analyse fine des processus et outil existants  :
    • Les processus et outils de veille et de sélection des prestataires pour intégrer le « pool » des contribuables identifiés,
    • Les processus et outil de choix des prestataires lors de lancement des projets et des programmes,
    • Les processus et les outils de fin de relation d’affaires ;
  • Puis, finalement, d’une phase de mise en œuvre détaillée qui pourrait passer, par exemple, au travers de  :
    • La définition d’une cartographie de l’intégralité des processus de la Direction achats et d’un plan d’optimisation de ces processus au regard des ambitions RSE (par exemple : le passage d’un processus de veille basé sur les données financière des entreprises à un processus de veille enrichi des données RSE des sociétés ciblées),
    • La remise à plat du modèle de sélection des fournisseurs et prestataires, basé sur un modèle de calculs et de critères plus juste encore et davantage tourné vers des préoccupations RSE (par exemple en augmentant la pondération des « notes RSE » et autres labels dans la note finale attribuée),
    • La remise à plat du ou des processus de prise de décision de fin des relations d’affaires. Là aussi, ce processus pourrait ainsi être enrichi des considérations RSE jugées comme essentielles par la banque et sa Direction générale / Direction des achats,
    • La définition et la mise en œuvre de quelques KPIs RSE jugés stratégiques et essentielles pour la Direction des achats (par exemple le pourcentage d’atteinte d’un objectif tel que « 100% des prestataires dispose d’une charte RSE interne »),
    • Et, enfin, et probablement en parallèle des précédentes étapes, d’une communication d’envergure concernant la stratégie d’achats responsable et sa mise en œuvre.

Ces travaux à réaliser par les Directions des achats des banques de détail devront bien sûr intégrer avec une forte proximité  :

  • La Direction générale auprès de laquelle la Direction des achats devra prendre sa part dans la stratégie et les objectifs RSE fixés pour l’entreprise ;
  • Toutes les Directions métiers qui sont les premiers « clients » de la Direction achat.
Conclusion

Ainsi, nous avons vu que, si les enjeux RSE pour les banques de détail peuvent sembler conséquents – de par les différents sujets adressés et leurs impacts concrets et profonds sur les modes de fonctionnement et d’organisation des établissements bancaires – il est tout de même possible de circonscrire une démarche précise autour de quelques chantiers clés.

La RSE est un formidable levier de transformation (des processus, des pratiques, des modes de management, des processus etc.), un accélérateur de développement (notamment sur le commercial et la relation client mais aussi sur la création de nouveaux business) et une opportunité de modernisation pour les banques de détail.

Comme toute circonstance favorable, les responsables des chantiers RSE engagés par les banques doivent toutefois garder à l’esprit un sens élevé du pragmatisme (la RSE n’est pas un label, elle est un levier de performation et d’optimisation) et la construction de démarches résolument tournées vers l’action.